Irrigation agricole, pesticides et milieux aquatiques : chronique d’un désastre annoncé

L'instruction du ministère de l’environnement, en date du 3 juin 2015, a demandé aux services de l’État d’établir une cartographie des cours d’eau afin de lever des incertitudes sur leur localisation. Les DDT(M) et la police de l’eau (absorbée par l’AFB avec le reste de l’ONEMA) pilotent l’élaboration de cette cartographie dans chaque département et consultent pour ce faire syndicats de rivières, associations environnementales, agriculteurs etc. La cartographie doit être finalisée par un arrêté préfectoral.

Selon les départements, la cartographie finale est plus ou moins correcte. Dans les départements où la FDSEA est influente, la cartographie a eu pour résultat la « disparition » de nombreux petits cours d’eau souvent intermittents. Les agriculteurs peuvent donc puiser de l’eau dans ces cours d’eau « disparus » pour irriguer sans autorisation de prélèvement et pour remplir des bassines sans étude d’impact environnemental. La cartographie étant non opposable, il n’y a aucun recours possible contre ses pratiques qui ont été dénoncées par plusieurs associations environnementales.

A cela s’ajoute le lancement des projets de territoire par les ministres de l’agriculture et de l’environnement. La plupart de ces projets de territoire sont des projets d’irrigation agricole non soutenable.

L’impact de la cartographie des points d’eau permanents ou intermittents sur l’usage des pesticides est moins connu ; les points d’eau étant les cours d’eau mais aussi les étangs, lacs, fossés et mares.

L’arrêté interministériel du 4 mai 2017 relatif à l'utilisation des produits phytosanitaires définit la notion de « zones non traitées » (ZNT) à respecter en bordure des points d’eau pour en éviter la contamination. La ZNT a une largeur minimale de 5 m en bordure du point d’eau. L’arrêté interministériel demande que soit établie une cartographie des points d’eau soumis à la réglementation ZNT dans chaque département par arrêté préfectoral.

La cartographie des points d’eau ZNT reprend l’intégralité des cours d’eau présents dans la cartographie des cours d’eau décrite ci-dessus, auxquels s’ajoutent les points d’eau présents dans les cartes au 1/25000 de l’IGN. L’arrêté interministériel offre la possibilité au préfet d’ajouter des points d’eau dans la cartographie des points d’eau ZNT, même s’ils sont absents des cartes IGN. Or, sous la pression des FDSEA, certains préfets ont utilisé cette possibilité non pas pour ajouter des points d’eau mais pour en retirer ! C’est le cas dans le département du Gard mais d’autres départements sont aussi concernés.

La cartographie des cours d’eau du Gard est correcte. La DDTM s’appuyant sur les SAGE n’a pas fait « disparaître » des cours d’eau. Les cours d’eau « indéterminés » sont représentés en rose. Ils correspondent à des cours d’eau non naturels, comme par exemple des canaux. Ces canaux construits au fil du temps couvrent une grande partie de la Camargue.

La cartographie des points d'eau ZNT du Gard fait apparaître des points d’eau comme par exemple les étangs mais fait aussi disparaître tous les canaux en Camargue. Les agriculteurs peuvent donc utiliser des pesticides jusqu’au bord des canaux (et même dans) puisque ceux-ci n’existent pas selon l’arrêté préfectoral du 9 octobre 2017. On imagine aisément la pollution des milieux aquatiques qui va en découler.

La commission européenne souhaite profiter de la révision de la DCE pour harmoniser les politiques européennes de l’eau et de l’agriculture. La France a déjà commencé à le faire… à sa manière.

Acronymes

AFB : Agence Française pour la Biodiversité

DCE : Directive Cadre sur l'Eau

DDTM : Direction Départementale des Territoires et de la Mer

FDSEA : Fédération Départementale des Syndicats d’Exploitants Agricoles

IGN : Institut Géographique National

ONEMA : Office National de l'Eau et des Milieux Aquatiques

SAGE : Schéma d'Aménagement et de Gestion des Eaux

ZNT : Zone Non Traitée