Accès aux ressources en eau en pays d'Iroise

27 Avril 2020,

Depuis de nombreuses années, la côte bretonne entre l'aber Ildut et l'aber Benoît subit, entre autres atteintes à l'environnement, une dégradation des eaux de baignade, dégradation due, pour l'essentiel, aux élevages porcins industriels. Le plus gros éleveur du secteur, membre influent de la FNSEA, veut doubler son "cheptel" et, ce avec la bénédiction du préfet, en dépit d'une enquête publique défavorable. En première instance au tribunal administratif de Rennes, l'APPCL (Association pour le Protection et la Promotion de la Côte des Légendes) a réussi, aux côtés d'Eau et Rivières de Bretagne et d'une autre association locale, à faire annuler l'autorisation du préfet. L'affaire va en appel à Nantes... Le texte ci-dessous, rédigé par un habitant du pays d'Iroise, expose de façon plus globale la problématique de l'accès à l'eau dans ce territoire.

Le contexte

Pays d’Iroise Communauté (Communauté de communes du Pays d’Iroise, CCPI) regroupe les communes de la pointe nord-ouest de Bretagne, au nord de Brest, et totalise environ 50000 habitants. Cette région littorale très agricole est un pôle de l’élevage industriel en Bretagne, notamment de l’élevage porcin. A eux seuls, les élevages classés ICPE totalisent plus de 200000 porcs dans la région, pour un total qui dépasse certainement 300000 têtes.

Ces élevages génèrent des quantités importantes d’effluents, dont une partie est en principe traitée (pas de données disponibles sur la proportion traitée, ni sur le niveau de traitement ou le devenir des eaux traitées), le reste étant épandu sur la plus grande partie des terres cultivables de la CCPI, pour l’essentiel consacrées à des cultures destinées à l’alimentation animale, notamment du maïs. La cartographie des épandages est inaccessible, mais la pression pour disposer de surfaces additionnelles laisse penser qu’on est proche de la saturation. La très grande majorité des terres cultivables de la CCPI est réservée aux cultures animales associés aux épandages de produits « phytosanitaires » et d’effluents d’élevage.  

La région semble disposer de ressources en eau a priori suffisantes pour alimenter sa population. Néanmoins, l’essentiel de ces ressources paraît :

  • soit prélevée par des dizaines de forages et captages privés, au seul bénéfice des élevages industriels ;
  • soit impropre à la consommation du fait apparemment d’une pollution chronique par les nitrates et les pesticides, les périmètres de protection potentiels des quelques captages ou forages publics n’étant pas protégés réglementairement.

Les rares captages publics se réduisent encore, certains étant purement abandonnés au profit de l’extension des surfaces d’épandage (Lanildut ou Quéléret dans les années 2000). Au bilan, la CCPI doit importer l’essentiel de son eau potable, au frais des abonnés de la CCPI.

Une partie seulement des eaux usées est collectée et traitée collectivement ; ce traitement a un coût exorbitant (plus de 5€/m3 pour le seul traitement des eaux usées dans certaines communes littorales) et est pourtant régulièrement mis en cause, avec les assainissements non collectifs défectueux, pour expliquer les problèmes chroniques de qualité des eaux de baignade. D’autres causes de pollution microbiologiques semblent pourtant probables, compte tenu de du volume des épandages d’effluents non traités (notamment par rapport au volume des eaux usées domestiques non traitées collectivement), d’autant que les analyses conduites notamment par les associations ont démontré l’origine animale d’une partie des pollutions microbiologiques des eaux de baignade.

En effet, chaque épisode pluvieux intense est à l’origine de pollutions simultanées de plusieurs plages de la région, justement celles où débouchent des cours d’eau, ce qui incite à soupçonner le lessivage de sols chargés de pollutions microbiologiques. La CCPI, dont la gouvernance est majoritairement contrôlée par le secteur de l’élevage industriel, préfère mettre en cause le traitement des eaux usées domestiques (pourtant de sa responsabilité) plutôt que de voir désigner les pratiques agricoles. De plus, l’étude des pratiques de l’ARS, chargée du contrôle réglementaire et du classement des baignades, laisse soupçonner des pratiques illégales visant à effacer ces pollutions chroniques des séries de prélèvements de surveillance ; le préfet du département s’oppose d’ailleurs à la communication des informations qui permettraient de lever le doute.

L’activité conchylicole est peu développée, ce qui évite sans doute des problèmes sanitaires, mais aussi probablement des contrôles systématiques de la qualité des eaux littorales en dehors de la saison balnéaire.

L’accès aux ressources en eau

La région dispose de ressources en eau diffuses, mais nombreuses. Il est donc logique de se demander pourquoi ces ressources ne sont pas mobilisées pour la production d’eau potable domestique : difficultés techniques, économiques, qualité, compétition avec d’autres usages ? LA CCPI relève du SAGE du Bas Léon, dont la gouvernance est elle aussi très majoritairement dominée par des représentants de l’élevage industriel, porcin ou bovin. La transparence des décisions y est très faible, et la CLE ne dispose que tardivement de dossiers partiels ; la plupart des décisions sont de fait prises de manière opaque par les élus et les techniciens du syndicat des eaux du Bas-Léon.

Le tableau ci-dessous est une étude sommaire des éventuels conflits d’intérêt au sein de la commission exécutive de la CCPI. Noter les fonctions exercées par les élus (aménagement du territoire pour foncier, eau, environnement, déchets...) qui sont des fonctions clés pour le secteur de l'élevage industriel. Cela explique les biais dans les décisions de la CCPI et de la CLE puisqu'on retrouve les mêmes élus au SAGE, avec leurs exacts équivalents des autres communautés de communes.

L’information relative aux ressources en eau est difficile d’accès, y compris celle relative aux captages publics identifiés (captages du Traon, Queleret). D’anciens responsables affirment qu'il serait possible de créer d'autres forages (plus éloignés de la mer que celui de Kerenneur désormais trop chargé en sel) mais que les périmètres de protection associés entreraient en concurrence avec les besoins de l’élevage intensif pratiqué dans le secteur, toujours à la recherche des surfaces d’épandage nécessaires pour obtenir des extensions d'élevages. Aucune information ne semble disponible concernant les forages privés (volumes autorisés, prélevés, contrôle, traitement des eaux usées correspondantes, paiement des taxes et redevances associées).

Les questions aujourd'hui sans réponse :

  • Quel volume d’eau brute est disponible sur le périmètre de la CCPI (aquifères, cours d’eau…) ?
  • Quelle est la part qui serait techniquement et économiquement exploitable pour le service public de l’eau potable ?
  • Quelles sont les limites liées à la qualité des eaux, et quelles sont les causes des pollutions éventuelles ?
  • Peut-on créer de nouveaux captages publics, et en a-t-on créé en Bretagne dans les deux dernières décennies ?
  • Qui consomme l’eau, en quelles quantités ? Qui la paie ?
  • Comment sont accordées les autorisations de prélèvement privées, et comment se fait l’arbitrage entre intérêt général/service public et intérêts privés ?
  • Comment sont contrôlés les prélèvements privés ?
  • Sont-ils assujettis à des redevances, si oui sur quelles bases ?
  • Comment les eaux usées non domestiques sont-elles traitées, qui contrôle, quelles sont les redevances perçues au titre des pollutions éventuelles ?