Commentaires sur l’avis de l’Autorité environnementale concernant la prolongation de la concession du Rhône

L’Autorité environnementale (Ae) a été saisie en février 2020 par la Directrice de l’énergie pour donner un avis sur la prolongation de la concession du Rhône à la Compagnie nationale du Rhône (CNR). L’avis a été publié le 8 juillet 2020 sur le site de l’Ae.

Comme indiqué par l’Ae, « cet avis porte sur la qualité de l’évaluation environnementale présentée par la personne responsable » (l’État, autorité concédante), « et sur la prise en compte de l’environnement par le plan ou le programme » (le plan stratégique de la prolongation de la concession). « Il vise à permettre d’améliorer sa conception, ainsi que l’information du public et sa participation à l’élaboration des décisions qui s’y rapporte ». En aucun cas, il ne porte sur l’opportunité de la prolongation.

Rappelons que le contrat de concession passé le 20 décembre 1933 par l’État (autorité concédante) avec la CNR (concessionnaire) jusqu’au 31 décembre 2023 porte sur l’aménagement du Rhône à travers l’exploitation hydraulique, la navigation et l’irrigation, auxquelles se sont ajoutées depuis 2003 des missions environnementales et des actions d’accompagnement au développement territorial le long du fleuve.

La concession du Rhône est régie par plusieurs documents : la « convention de concession générale de 1933, modifiée par plusieurs avenants, dont le huitième du 3 juin 2003 »; un « cahier des charges général » (CCG) annexé à la convention générale qui « définit les droits et obligations du concessionnaire pour l’ensemble de la concession »; un « schéma directeur » (SD) annexé au CCG qui « précise la nature d’un ensemble d’actions et de travaux auxquels s’engage le concessionnaire d’ici la fin de concession » et qui se décline en « programmes pluriannuels quinquennaux »; pour chaque aménagement hydroélectrique, une convention et un cahier des charges spécial annexé qui détaille les droits et obligations du concessionnaire; des cahiers des charges spéciaux pour les ports de la concession. La prolongation de la concession jusqu’en 2041 et l’extension de son périmètre se traduira par un neuvième avenant à la convention de concession générale et par l’actualisation des documents associés, notamment le SD puisqu’il faut redéfinir « les orientations et les actions qui seront déclinées au travers de programmes pluriannuels quinquennaux ».

L’avis de l’Ae reprend plusieurs des points soulevés par des associations environnementales (notamment France Nature Environnement) durant la concertation préalable de 2019. Mais il aborde aussi des points peu ou pas discutés lors de la concertation et pour lesquels les réponses de l’État et de la CNR, lorsqu’elles existent, sont clairement insuffisantes. Le présent article analyse en détail certains des points abordés par l’Ae dans son avis, de manière à pouvoir y faire référence lors de la future enquête publique.

Un projet de nouvel aménagement hydroélectrique controversé

Le plan stratégique (exigé par la directive européenne 2001/42/CE) envisage la construction d’un 19ème aménagement hydroélectrique (barrage + centrale hydroélectrique) sur le Haut-Rhône, en amont de la confluence de l’Ain à Saint-Romain de Jalionas. Cet aménagement d’une puissance de 35 à 43 MW, permettra, s’il voit le jour, de produire annuellement 140 GWh (une production probablement surestimée car le changement climatique va provoquer une baisse du débit moyen du Rhône).  

Comme le fait remarquer l’Ae, ce projet « semble faire d'ores et déjà clivage » entre d’une part les associations environnementales et d’autre part l’État et la CNR. C’est le moins qu’on puisse dire. Durant la concertation préalable, les associations environnementales n’ont pas manqué de manifester leur opposition à un aménagement situé au sein du site Natura 2000 de l’Ile Crémieu et qui entraînera l’endiguement de 4 km du fleuve dans sa dernière portion relativement « naturelle ». Pour sa part, l’Ae constate que cet aménagement aura des « impacts notables sur les milieux naturels » difficiles à éviter ou réduire et regrette que l’analyse de ces impacts ne soit pas effectuée a priori mais renvoyée à l’étude de conception du projet, ce qui est contraire au code de l’environnement. Au vu des dégâts environnementaux qui en découleront, produire 140 GWh de plus en vaut-il la chandelle ? Pour les associations environnementales, la réponse est clairement non. 

Une analyse superficielle de l’évolution des prélèvements en eau et du débit d’étiage

Le Rhône n’est pas aujourd’hui considéré en déficit quantitatif. Néanmoins le fleuve n’est d’ores et déjà pas exempt de périodes de tensions à l’étiage. 50 % des volumes nets d’eau prélevés dans le Rhône et sa nappe alluviale servent actuellement à l’irrigation agricole et 21 % au refroidissement des centrales nucléaires.

Alors qu’il existe un consensus pour considérer que le changement climatique va provoquer une baisse d’environ 30 % du débit d’étiage, l’Ae constate l’absence de réflexion approfondie sur l’évolution des prélèvements en eau; elle recommande de « fournir une estimation quantifiée de l’ensemble des futurs besoins en eau » et de « prévoir des mesures équitables de limitation des prélèvements tout le long du linéaire ». Faute de quoi, il y aura à terme à la fois conflit d’usages et dégradation quantitative des masses d’eau.

Omerta sur le refroidissement des centrales nucléaires

L’eau du Rhône est utilisée pour refroidir les 4 centrales nucléaires présentes au bord du fleuve. La partie de cette eau restituée au fleuve ne doit pas dépasser la température maximale autorisée qui est de 23°C. Dans les années 2000, le très faible débit consécutif à quelques étiages particulièrement sévères n’a pas permis de toujours couvrir le besoin en eau de refroidissement des centrales, entraînant l’arrêt temporaire de leurs réacteurs. Durant la même période, la température de l’eau restituée par les centrales fonctionnant en circuit ouvert a plusieurs fois dépassées la limite maximale de 23°C sans que cela émeuve beaucoup les autorités de contrôle et la CNR.

L’Ae observe qu’il n’est pas explicité « comment évoluera le besoin en eau de refroidissement des centrales nucléaires en tenant compte de la gestion des eaux du Rhône et de ses affluents en amont, et des effets du réchauffement climatique ». L’Ae constate aussi que les centrales nucléaires sont en zone inondable et que « la prise en compte du risque d’inondation est quasi-inexistante ». Sachant que l’exploitation par la CNR des barrages en amont détermine en partie le débit du Rhône au niveau des centrales nucléaires et que le débordement ou rupture de ces barrages provoquerait par inondation un grave accident nucléaire, on ne peut que s’étonner que le dossier pour la prolongation de la concession en parle aussi peu.  

Un développement de l’irrigation peu compatible avec la transition agroécologique

Les nombreux barrages hydroélectriques situés sur le Rhône et ses affluents contribuent à réguler le débit du fleuve mais le débit est aussi affecté par de multiples transferts d’eau inter-bassin pour irriguer, alimenter en eau potable et faire du soutien d’étiage dans des territoires parfois très éloignés de la vallée du Rhône : le canal de la Durance détourne une bonne partie de cet affluent du Rhône vers l’étang de Berre ; l’eau du Rhône alimente la Provence via le canal de Provence et le Gard, l’Hérault et l’Aude via le canal Bas-Rhône-Languedoc.

Le dossier de la prolongation de la concession prévoit des mesures incitatives (mais non contraignantes) pour développer une irrigation économe en eau et en énergie, censée favoriser la transition agroécologique. Mais il est permis de douter de l’efficacité de ces mesures. L’Ae considère que d’une part, « une estimation quantitative des nouveaux besoins en eau de l’agriculture et des bénéfices des mesures d’économie d’eau sur l’irrigation est nécessaire » et que d’autre part, « la quantité d’eau qui sera affectée aux différents usages, dont l’agriculture, en fonction de l’évolution de la ressource et des besoins des milieux aquatiques, devrait être analysée de façon plus approfondie ». L’Ae recommande « de reprendre le volet irrigation en proposant un scénario précis et la mise en place d’une conditionnalité à la création de nouveaux périmètres irrigués, de consolider et de préciser les mesures en faveur d’une agriculture résolument tournée vers l’agroécologie ». Faute de quoi l’agriculture industrielle accaparera la plupart des nouveaux périmètres irrigués. Ce risque est déjà bien présent dans les projets de territoire pour l’irrigation qui se multiplient actuellement.

Aucune amélioration significative du transport sédimentaire en vue

Près d’un siècle d’aménagements de toutes sortes ont artificialisé le Rhône sur 85% de son linéaire et profondément modifié son hydromorphologie. Le transport sédimentaire représente actuellement 3% de ce qu’il était avant les aménagements. Le très faible apport de sédiments grossiers et fins contribue au recul du trait de côte d’une bonne partie du littoral méditerranéen en partant du delta du Rhône jusqu’aux Pyrénées-Orientales. Par exemple, la côte au niveau des Saintes-Maries-de-la-Mer a reculé d’environ 800 mètres en 70 ans et l’eau de mer menace désormais les premières habitations ainsi que des parcelles agricoles. Le réchauffement climatique en faisant monter le niveau de la mer ne va pas arranger les choses.

Des actions de restauration hydromorphologiques sont en cours dans le cadre du programme de mesures du Sdage 2016-2021. 80 % d’entre elles sont du ressort de la CNR. Ces actions consistent entre autres à réactiver la dynamique et la continuité sédimentaires là où cela semble possible. Un schéma de gestion sédimentaire du Rhône a même été lancé en 2017 en application du Sdage. L’Ae constate néanmoins que « l’ensemble du programme de mesures est en retard par rapport aux prévisions » et regrette le manque d’informations sur les opérations réalisées et sur les « difficultés rencontrées pouvant expliquer ce retard ». Non seulement ces actions de restauration hydromorphologiques trop peu nombreuses sont loin d’être à la hauteur des enjeux mais en plus la CNR traîne les pieds pour les réaliser.

Des actions insuffisantes pour lutter contre la pollution et améliorer la qualité de l’eau

Le Rhône est un fleuve très pollué. 11 de ses 27 masses d’eau sont dans un mauvais état chimique selon le Sdage 2015-2021, principalement de par la présence de HAP. Nitrates et pesticides se trouvent également à des concentrations inquiétantes dans huit captages pour l’eau potable. La vallée du Rhône à l’aval de Lyon (dite vallée de la chimie) présente une forte concentration de sites pollués, avec pour conséquence une contamination chronique des sédiments fins du fleuve par les métaux et les PCB. Il y a quelques années, Eau Secours 34 avait pu se procurer des analyses indiquant la présence de PCB dans les rizières camarguaises et même dans le riz commercialisé. L’agence de l’eau RMC constate une diminution régulière de la pollution du Rhône par les PCB mais cette diminution de la pollution se traduit par une augmentation parallèle de la pollution du delta et du littoral.

Le dossier de la prolongation de la concession du Rhône admet que la pollution actuelle de l’eau et des sédiments doit être traitée et que le développement potentiel d’activités (navigation fluviale, irrigation…) pourrait « accroître les risques de pollution et avoir des effets négatifs ». Néanmoins et comme le fait remarquer l’Ae, la présentation de l’état des masses d’eau avant la prolongation de la concession est « incomplète » et « d’ores et déjà obsolète ». De plus, « les effets positifs qui sont affichés comme la conséquence des actions d'accompagnement en soutien de la profession agricole apparaissent spéculatifs ». Tout est fait pour réduire les futures actions de lutte contre la pollution et d’amélioration de la qualité de l’eau à la portion congrue, avec les montants de leur financement fixés par la CNR sans concertation. 

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Thierry Uso
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