Comment vaincre: la bataille pour l'eau en Grèce

Que faut-il pour qu’un mouvement gagne réellement? Les organisateurs de la campagne contre la privatisation de l'eau en Grèce partagent leur histoire et leur stratégie.

Le chemin vers la privatisation de l'eau en Grèce a été ouvert par l'entrée dans le marché boursier en 1999 des deux plus grandes compagnies d'eau, ce qui a conduit à l’arrivée de la multinationale française Suez. Mais c'est maintenant, avec l'accord de prêt entre le gouvernement grec et la troïka des bailleurs de fonds étrangers, que la véritable braderie va avoir lieu. Pour les citoyens assez patients pour lire l'ensemble du document, il y a une clause à la page 682 de la loi 4046/2012 qui inclut clairement dans la longue liste macabre des actifs à privatiser les deux plus grandes entreprises de l'eau de la Grèce, toutes les deux rentables: EYDAP (Athènes et sa région) et EYATH (Thessalonique et sa région).

Depuis Juillet 2012, quand SaveGreekWater, initiative pour la non-privatisation de l'eau, a été lancée, nous avons constamment élaboré des stratégies sur la façon d'empêcher la privatisation. Nous avons collaboré étroitement avec les membres des deux syndicats et plusieurs autres organisations en Grèce et à l'étranger, et nous avons lutté côte à côte avec d'autres mouvements comme le mouvement 136, qui vise à la gestion sociale de EYATH par une coopérative des usagers; SOSte to Nero, un front anti-privatisation dans le nord de la Grèce; Watervolo, qui vise à protéger de l'industrialisation les sources de la belle montagne du Pélion, et de nombreux autres réseaux en Grèce. Arrêter la privatisation est une première étape dans la vision d'une gestion de l’eau non lucrative, rationnelle et démocratique, mais pour cela nous devrions peut-être fonder NONPROFITWATER.GR, où la plupart d'entre nous s’inscriraient probablement par romantisme.

Comment: défis et réalisme

Prendre la rue en grand nombre pour l'eau, ou pour toute autre question d’avenir, si grave soit-elle, ne semble pas être un objectif réalisable à ce stade, compte tenu de la fatigue d'un peuple qui a protesté pendant trois ans et de la réalité économique écrasante à laquelle les Grecs font face de nos jours. Ainsi, en dépit de notre sentiment pro-peuple et en tenant compte des impasses institutionnelles de la législation grecque en matière de référendums d’initiative citoyenne, nous sommes arrivés à une autre approche sur la façon de mener cette bataille.

Que ce soit une bonne ou une mauvaise approche sera évalué à la fin, mais pour nous, le réalisme et l'analyse de l’échiquier politique sont fondamentaux et inspirent notre engagement et celui des nouveaux membres à travailler dur chaque jour depuis plus d'un an maintenant, ce qui implique d'abord et avant tout d’acquérir de l'expertise sur la question et de produire des matériaux «livrables» sous forme de documentation, mise en réseau, campagne et travail politique.

Une stratégie sur deux fronts

L'idée de base de notre stratégie est que la privatisation de l'eau en Grèce est en réalité une décision politique européenne. Elle fait partie de l'accord de prêt entre la Grèce et ses créanciers européens, elle bénéficiera aux multinationales françaises, et elle ne peut pas être arrêtée que par du «lobbying» au niveau national. Par conséquent, à notre avis, une double pression sur les décideurs grecs à la fois d'en haut et d'en bas était le meilleur point de départ pour une stratégie viable.

Ainsi, notre premier front est le front européen, où la lutte est menée par l'European Water Movement, un réseau étonnant où collaborent syndicats, ONG et mouvements de toute l'Europe - Un changement profond de ce que nous vivons généralement lorsque ces acteurs tentent de travailler ensemble à travers les frontières, et qui se termine généralement par la fragmentation et la méfiance. Notre deuxième front est la création d'alliances au niveau municipal, poussant à l'adoption de résolutions contre la privatisation de l'eau dans l'Attique, un objectif plus réalisable maintenant que nous approchons des élections locales.

Directives de communication

Pourtant, aucun combat ne peut être gagné uniquement sur le plan institutionnel, même s’il est soutenu par un grand nombre d'organisateurs de mouvement dévoués, sauf si vous avez le soutien de «l'opinion publique», avec de forts sentiments favorables à votre cause. Vous avez besoin de sensibiliser et de créer un climat favorable à long terme. Et quelle meilleure façon de le faire aujourd’hui dans le contexte culturel et politique de nos sociétés apathiques que de faire que votre question sonne «a-politique» ou encore «à la mode»?

Quant à la rhétorique et le jargon que nous utilisons, c’est purement un «discours institutionnel intelligent», mais avec des positions radicales qui se cachent derrière lui. Malgré la forte nature idéologique de l'opposition fondamentale entre la gestion publique et privée de l'eau - qui est au cœur d'un long débat de philosophie politique - nous avons réussi à dépasser les questions «idéologiques» et les obstacles de communication qui en découlent.

Dans ce processus, nous avons volé à nos adversaires leur manteau habituel de la «rationalité» et du «réalisme», et nous - les militants anti-privatisation - sommes devenus les «rationnels» et les «réalistes» dans le débat public tout en les faisant apparaître - les néolibéraux - comme des prêtres idéologiques. Nous allons même aller plus loin et devenir «tendance» en lançant une campagne soigneusement conçue de spots web, de spots radio et d’affiches. En un mot, nous avons renversé le vieux dicton grec que la femme de César ne doit pas seulement être fidèle mais aussi paraître fidèle.

Processus internes et «faire-ocracie»

Sur les processus internes, notre approche est la création d'un «demos» avec ceux qui nous rejoignent, le développement de relations humaines plutôt que de «règles». La critique ou la théorie ne sont pas considérées par notre groupe comme «participation», et les gens qui ne font pas des choses ne sont pas vraiment perçus par les autres comme membres à part entière ou co-décideurs. Cette «règle» souple a réussi à attirer le bon type de personnes, et les grands causeurs qui hantent généralement les assemblées nous ont heureusement quitté et ont recherché d'autres groupes plus accueillants.

Le respect mutuel et la confiance sont essentiels pour décentraliser les décisions et les charges de travail. Faire une "assemblée pour l’assemblée" n'est pas dans nos pratiques puisque nous nous réunissons vraiment uniquement pour discuter des questions importantes qui sont identifiées comme devant être débattues au sein du groupe, de même que pour les jalons stratégiques vraiment importants pour aller de l'avant. Bien sûr, nous ne proposons pas cette approche comme une panacée pour étendre le mouvement, ou pour explorer les voies de la démocratie directe. Elle fonctionne seulement pour nous - un petit groupe de personnes, très concentrés sur notre question spécifique et prêts à mettre de côté le narcissisme idéologique ou les différences personnelles.

Le point sur la lutte

Au niveau européen, la Commission est généralement neutralisée par la «neutralité» qu’elle doit conserver dès qu’il s'agit de gestion publique ou privée des services d'eau, selon l'article 345 du TFUE (Traité sur le Fonctionnement de l'Union Européenne). Pourtant, ce n’est pas vraiment le cas quand il s'agit de ses intentions réelles de pousser à la création d'un marché de l'eau en Europe, à la grande joie des lobbyistes des opérateurs privés qui traînent autour de Bruxelles. Nous avons cependant réussi à avoir la première Initiative Citoyenne Européenne, right2water, demandant l'adoption législative par l'UE du droit humain de l'ONU à l'eau et la protection contre la libéralisation, en collectant deux millions de signatures (bien au-delà du million nécessaire, 33.000 pour la Grèce où seulement 16.500 étaient nécessaires). Nous avons réussi aussi à ce que le commissaire européen Olli Rehn accepte en public de dispenser les services d'eau de la privatisation, si le gouvernement grec le demande.

Au niveau national, 40 organisations des assemblées des places et des associations scientifiques co-signent notre campagne; 5 municipalités ont déjà adopté des résolutions contre la privatisation de l'eau, et récemment des articles de presse ont commencé à prétendre que la Cour suprême est sur le point d'annuler le transfert des participations de l’Etat dans EYDAP et EYATH au fonds TAIPED, à travers lequel toutes les privatisations sont menées, au motif que «l'eau est un bien public». Si c'est le cas, eh bien, ce n'est pas un mauvais résultat.

Alors maintenant, diriez-vous que la lutte est engagée?

Alex Kassios, Maria Kanellopoulou - SaveGreekWater

Traduction de l'article de ROAR magazine