Alternatives pour l'Eau

« Partout dans le monde, l’eau devient une denrée rare. C’est pourquoi nous voulons contrôler les sources »

Helmut Maucher, Directeur général de Nestlé 1990 – 1997

Le WRG (Water Resources Group, ou Groupe des Ressources en eau) a été constitué en 2008. Cette initiative lancée par Nestlé, Coca Cola, Pepsi et l’International Finance Corporation (IFC, ou Société financière internationale, une filiale de la Banque Mondiale) a pour objectif de “transformer le secteur de l’eau” en introduisant le secteur privé dans un service qui était jusque là un service public. Bien que, d’après le Compliance Advisor Ombudsman de l’IFC, 40% des plaintes reçues de toutes les régions du monde soient liées au problème de l’eau, et malgré les appels lancés en Europe, et surtout en France, en Italie et en Allemagne, par des mouvements sociaux très importants qui demandent que l’eau redevienne un bien public, la Banque Mondiale et l’industrie de l’eau en bouteille se sont unies pour promouvoir la privatisation de l’eau par des partenariats public-privé. Pourtant, ni Nestlé, ni Coca Cola ni Pepsi n’ont de compétences en matière de distribution d’eau ou d’assainissement. De plus, les uns comme les autres doivent faire face à des batailles juridiques et aux critiques de citoyens des endroits où ils ont pris le contrôle de l’eau. On a tous entendu parler des problèmes de Coca Cola en Inde et de Nestlé aux USA. Dans le “Briefing Report” de 2012 destiné au Forum économique mondial (1), où il donne une analyse assez juste, il est vrai, de la problématique de l’eau dans le monde, sans jamais oublier aucun des grands problèmes qui se posent un peu partout, le WRG omet cependant de mentionner la part que joue l’industrie de l’eau en bouteille dans ces problèmes. Il suffit pour s’en convaincre d’évoquer les faits suivants:

  • L’agriculture est le plus gros utilisateur d’eau : Nous devrons donc changer radicalement notre façon de produire nos aliments si nous voulons avoir un avenir viable – ou même un avenir tout court. Il est évident que le modèle industriel actuel reposant sur la monoculture, une irrigation extensive, les fertilisants, les pesticides et – comme le veut l’industrie – de plus en plus d’OMG, ne fait que détruire le sol et sa capacité à retenir l’eau et le CO2. La pollution des eaux souterraines par les pesticides devient de plus en plus préoccupante dans de nombreux pays. Bien que l’agriculture biologique puisse contribuer à la régénération des sols et à leur capacité de rétention d’eau et de CO2, Nestlé n’a pas hésité à attaquer ce type d’agriculture, ni à défendre les OGM et le modèle agricole industriel. L’agriculture biologique est pourtant un moyen très simple et efficace d’empêcher la pollution des eaux souterraines. La réalité est que les multinationales n’ont rien à faire de la prévention. Tout ce qu’elles veulent c’est vendre des technologies coûteuses d’épuration des eaux. Plus on a une eau polluée et mieux cela vaut pour l’industrie de l’eau en bouteille.
  • L’eau en bouteille est pourtant une importante source de pollution et de gaz à effet de serre – gaz qui contribuent au changement climatique – et elle représente un énorme gaspillage d’eau. En effet, chaque fois qu’une bouteille d’eau en PET à 20,3 grammes est produite, c’est près de quatre fois son poids en gaz à effet de serre qui est produit (2) et pour chaque litre d’eau mis en bouteille il a fallu utiliser 3 litres d’eau. Autre exemple révélateur: selon une étude menée en Colombie britannique, au Canada, “La production et le transport jusqu’au marché des bouteilles d’eau en PET qui se sont vendues en 2007 dans cette province du Canada ont généré entre 12 922 578 et 16 766 604 kg de gaz à effet de serre (C02). C’est ce que le chauffage d’une maison canadienne moyenne générerait pour les 2177 prochaines années.

Or ce rapport ne nous dit rien de tout cela. Si l’industrie de l’eau en bouteille voulait vraiment contribuer à la résolution de ce problème d’eau qui se pose à nous tous, ne devrait-elle pas commencer par interdire l’eau en bouteille partout où cette eau n’est qu’un luxe - en Suisse, par exemple. Bien évidemment, il n’en est rien. En réalité, ce que veulent Nestlé, Coca Cola, Pepsi et d’autres c’est tout simplement utiliser les crises de l’eau comme des opérations marketing – et promouvoir leur propre programme de privatisation de l’eau. Dans un monde où les sources d’eau diminuent, l’eau devient une denrée rare.

Dans ce rapport, on ne cesse de marteler que le WRG est une institution « neutre ». Et pourtant, sous le titre: “Value Proposition of WRG” (3), on peut y lire la phrase suivante:

“L’expérience nous montre que les progrès réalisés dans la réforme du secteur de l’eau ont été entravés par cinq facteurs (…)”, et en particulier par le fait que : “On est devant une question politiquement très sensible, notamment pour le prix de l’eau et le rôle du secteur privé”.

C’est évidemment le secteur public qui est ici directement visé, ce qui en dit long sur la pseudo “neutralité” du Groupe.

Le plus troublant ici est que ce groupe bénéficie d’un soutien sans faille de la part de la Direction Suisse du développement et de la coopération (DDC). Dans son rapport, le WRG ne manque d’ailleurs pas de mentionner cet organisme, et ce dans la préface de Peter Brabeck – Président du WRG et de Nestlé comme dans le message introductif de Robert Greenhill, Directeur commercial de WEF – et va jusqu’à le remercier très chaleureusement pour son soutien.

Par ailleurs, sur le site web de la DDC, on retrouve le WRG sous la rubrique “Water Resource Platforms ” (4), aux côtés de la Water Initiative et du Green Growth Institute. La contribution apportée par la DDC à cette plateforme pour la période allant d’octobre 2012 à juin 2014 se monte à CHF 2 .983 760, le WRG bénéficiant de la plus grosse partie. Ce qui explique tous les remerciements que le rapport du WRG adresse à la DDC pour sa contribution. Le rapport annuel du WRG (5) nous en dit encore plus sur les liens qui existent entre la DDC et le WRG. On y apprend en effet que le Directeur de la DDC, Mr. Martin Dahinden en personne, est membre du Conseil d’administration du WRG, de même que Mr.Peter Brabeck, le Directeur général de Nestlé, Muhtar Kent, le Président de Coca-Cola, et Indra K. Nooyi, le Président de Pepsi. Quant à Mr. François Muenger, Coordinateur de la Water Initiative de la DDC, il est membre du Comité directeur du WRG.

Il y a évidemment de quoi être surpris par un tel soutien de la part de la DDC quand on sait que la Suisse dispose de l’un des meilleurs services publics de l’eau au monde, et que les services publics suisses de l’eau ont tous –à Genève comme à Berne, à Lausanne ou à Zurich – bien plus d’expertise réelle et de connaissance concrète des questions de distribution d’eau et d’assainissement que n’importe laquelle des entreprises d’eau en bouteille qui composent le WRG.. Par des partenariats public-public, les entreprises publiques suisses de l’eau pourraient apporter leurs compétences à bien des services publics de l’eau du monde entier. D’ailleurs, par son initiative Solidarit’eau Suisse, la DDC apporte déjà son soutien à ce genre de partenariat. Il suffit cependant de comparer les CHF 150.000 par an qu’elle verse à Solidarit’ eau Suisse aux 3 millions de francs suisses en moins de deux ans qu’elle verse au WRG pour deviner vers où vont ses priorités.

L’Amérique latine est à l’origine de certaines des initiatives les plus novatrices, les plus créatives et les plus démocratiques au monde. Le secteur de l’eau ne fait pas exception. C’est ainsi qu’en avril 2009 on a vu naître la « Plateforme pour des partenariats Publics et Communautaires des Amériques” (Plataforma de Acuerdos Publico-Comunitarios de las Americas) (6), une plateforme qui mutualise l’expérience en matière de gestion publique et démocratique de l’eau de différentes institutions et ONG de Bolivie, d’Equateur, du Pérou, du Brésil, du Paraguay et d’autres pays. Le but de cette plateforme est de soutenir les partenariats de manière à renforcer la solidarité, la réciprocité, la transparence et la sensibilité en matière de gestion de l’eau. Cette initiative s’accordant parfaitement avec le modèle helvétique de gestion de l’eau, un partenariat entre la Suisse et cette plateforme pourrait s’avérer extrêmement fructueux. Il est à espérer que – par delà Nestlé et le WRG - la DDC saura tourner ses regards vers l’Amérique latine, et qu’elle choisira de s’engager et de soutenir ce genre d’initiatives. Elle y serait en tout cas la bienvenue.

Documentaire de la WDR: "Wem Gehört das Wasser"

La chaine de télé allemande WDR a diffusé le 18 mars dernier un documentaire très important intitulé "Wem gehört das Wasser" (A qui appartient l‘eau) où il est question de Nestlé, mais aussi des activités du Water Resources Group en Afrique du Sud. Là aussi, dans ce portrait alarmant qui est fait de Nestlé et des politiques de l’eau du Groupe, on voit très nettement se dessiner le soutien que la DDC apporte au WRG. Pour voir ce documentaire cliquer sur:

http://www.ndr.de/fernsehen/sendungen/45_min/videos/minuten873.html

Franklin Frederick

Notes

(1)
http://www.weforum.org/reports/water-resources-group-background-impact-and-way-forward

(2) http://www.toxicfreecanada.ca/pdf/TFC%20bottled%20water%20report_final.pdf

(3) WRG page 20

(4) http://www.deza.admin.ch/de/Home/Projekte/Project_Detail?projectdbID=215165

(5) http://www.2030wrg.org/wp-content/uploads/2013/01/2030-WRG-Annual-Report.pdf

(6) http://www.plataformaapc.org